A l’heure du projet Euratlantique, les vestiges du passé industriel sont gommés les uns après les autres sur l’hôtel d’une supposée modernité. La mémoire de cette histoire n’entre pas en ligne de compte à Bordeaux où il faut désormais faire de l’archéologie pour retrouver dans ce quartier de la gare des monuments originaux, inattendus et encore préservés.
Aujourd’hui c’est rue du Mascaret, dans le quartier Belcier derrière la gare de Bordeaux que nous avons déniché un monument du passé qu’on ne retrouve dans quasiment aucune littérature. C’est vers 2009, que je suis passé pour la première fois devant cet ancien moulin après avoir lu un article sur le blog « Rue de la Gare ». Cet article mettait en lumière une véritable curiosité connue presque uniquement par les habitants du quartier.
Bordeaux est connu pour son passé négrier, ses négociants en vin et « denrées coloniales », ses façades du XVIIIe siècle et … ses travaux. On se souvient peu de ce petit patrimoine industriel qui était pourtant indispensable dans le quotidien des bordelais.
La Gironde compte à l’inventaire de Napoléon, des centaines de moulins en activité qu’on retrouve sur les hauteurs (moulins à vent) ou le long des cours d’eau. Dans la métropole bordelaise, les derniers vestiges se trouvent aujourd’hui sur les Jalles (Saint-Médard-en-Jalles, le Taillan-Médoc) ou le long de l’eau bourde et des esteys (Gradignan, Villenave d’Ornon, Pessac…). Dans l’inventaire national de la Fédération des moulins de France, on compte encore 606 moulins à eau en activité ou en état de fonctionnement sur l’ensemble du territoire.
A Bordeaux, l’un des plus célèbres et des plus ambitieux fut le moulin à marée de Teynac construit dans le quartier de Bacalan à la fin du XVIIIe siècle. Profitant de la remontée de la marée sur 150km, il devait faire tourner 24 paires de meules. Ce gigantesque moulin ne fonctionnera jamais comme prévu et laissera place à la manufacture Manufacture Vieillard & Cie en 1845. Ce complexe a été détruit et n’est pas parvenu jusqu’à nous.
En remontant en amont du fleuve, on retrouvait sur un bras de l’Estey Sainte-Croix un autre moulin à eau plus modeste dont on retrouve trace sur certaines cartes. Cet ouvrage est assez peu documenté mais régulièrement nommé comme « Moulin Sainte-Croix » depuis le XIIIe siècle dans des actes et des écrits. Il est cependant difficile de faire correspondre ce positionnement avec le bâtiment présent rue du Mascaret.
Vers 1650, il n’existe pas encore comme l’atteste le récit « Etat de la ville et faubourgs de Bordeaux », présent aux Archives Nationales. Il est précisé que « le moulin de Sainte-Croix (est) le seul qui soit dans la ville à eau ». Mais bizarrement, l’inventaire de 1809 établi sous Napoléon ne matérialise aucun moulin à eau dans Bordeaux.
Très massif, il présentait encore, au moment de sa rénovation, des meules utilisées lors de son exploitation. Il s’agit aujourd’hui d’un bâtiment privé dans lequel ont été aménagés des appartements et lofts. Des contreforts soutiennent de hauts murs que certains pourraient associer à un bâtiment défensif, il n’en est rien.
Seule chose vraiment certaine, son exploitation a cessé durant le XIXe siècle pour progressivement tomber en ruines. En 1965, il sera rénové par un entrepreneur bordelais, Jean Bédochaud, entretenu pendant près de quarante ans avant d’être racheté par le promoteur Norbert Fradin pour en faire un ensemble de loft à la mode (2005).
Bibliographie
« Moulin à marée de Bacalan », par la Fédération des Moulins de France
« Etat de la ville et faubourgs de Bordeaux », vers 1650, Archives historiques du département de la Gironde, tome XIII, p 527, 1871
Energie et subsistances. Enquêtes sur les moulins à blé (an II-1809), M. Illaire, Archives Nationales